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L'Etat du Cerveau Post-Numérique

Publié par Laurent Vercueil, le 18 mars 2016   4.7k

La révolution numérique, avec son emballement à partir des années 90, a eu un impact sur la façon que nous avons d’utiliser nos cerveaux. Et il s'agit davantage d'une nouvelle façon de le faire fonctionner que d'un véritable nouveau cerveau, qui émerge désormais. La génération qui a grandit en accompagnant l'arrivée de l'interface numérique dans le quotidien est dans une certaine rupture par rapport aux générations précédentes.

Ainsi, est-il possible de distinguer un cerveau pré-numérique (qui a connu l'époque où l'ordinateur était une machine volumineuse, bruyante, considérée avec curiosité, manipulée avec précaution et parcimonie) et un cerveau post-numérique (qui a grandit dans l'environnement d'écrans sollicitant les gestes élémentaires du "Clic" et du "Glissage"). Un cerveau d'avant la révolution de l'internet et du smartphone et un cerveau de l'après-révolution...

En matière de recours aux facultés cérébrales, il est possible d'appréhender des évolutions en cours. Elles intéressent notamment l'utilisation différente des mémoires (le pluriel est important), la gestion des ressources de l'attention et la nouvelle structuration des moyens de communication. Le tableau ci-dessous reprend ces évolutions, en opposant, de façon schématique, le cerveau pré-numérique (disons, né avant 1985, et qui avait déjà pris en main l'ensemble des techniques pré-numériques lors de l'avènement de l'ère digitale) et le cerveau post-numérique (né après 1985, et qui a été élevé au milieu des ordinateurs, smartphones et tablettes).

Cerveau pré-numérique

(naissance avant 1985)

Cerveau post-numérique

(naissance après 1985)

Mémoire sémantique : les connaissances déclaratives (qui sont partagées et communicables) font l’objet d’un apprentissage patient par la répétition. Les savants (ceux qui accumulent la connaissance) sont valorisés.

Externalisation de la mémoire sémantique : L’accès facile sur la toile à l’ensemble des informations disponibles sur le monde ne justifie plus le rabâchage. Les compétences mnésiques peuvent être mobilisées ailleurs. La valorisation va à l'innovation, notamment technique.


Mémoire autobiographique : Les souvenirs des évènements qui nous sont personnellement arrivés sont fragiles. Ils peuvent faire l’objet d’une consignation dans un journal. Ils sont oubliés.

Externalisation de la mémoire autobiographique : Le stockage en ligne (réseaux sociaux, banques de données et images, blogs…) permet l’archivage automatique des données personnelles, la mise à disposition permanente et la possibilité d’un indexage et d'un indiçage de la récupération.


Mémoire procédurale : Les « savoir-faire » sont appris laborieusement, en répétant les gestes et les procédures. Ils sont ancrés dans les comportements et difficilement partageables (*)

Simplification des procédures : le remplacement des machines et outils par les interfaces numériques conduit à simplifier les procédures : 1) identification de l’information pertinente, 2) "Clic" de sélection et 3) "Glissage" de zapping, qui apporte de nouvelles informations.


Gestion parcimonieuse de l’attention : Recrutement des capacités attentionnelles, focalisation, soutien dans le temps, absence de distractions (silence, faible flux d'information), stabilité.

Marché de l’attention : asservissement attentionnel aux stimulations multiples (pop up, SMS, flux informationnel élevé, fragmentaire…), attention divisée : Capitalisme de l’attention, instabilité.


Communication : langage oral et écriture via le courrier postal. Possibilité de développer les arguments, les idées. Temps long +++

Communication à options : email, SMS, langage oral. Réduction du contenu à l’information pertinente. Recours à l’hypertexte pour l’appel au contenu, ce qui confère un caractère optionnel au contenu détaillé. Temps court –extensible


Il n'est pas dans le propos d'établir un jugement de valeur. Cerveaux pré- et post-numériques s'adaptent à des environnements qui changent, qui ont changé. L'adaptation est d'autant plus aisée que l'environnement accompagne le développement cérébral. Les générations du numérique trouvent de nouvelles façon de résoudre des problèmes nouveaux.


>> Note :

(*) Un exemple extraordinaire est celui des « sexeurs » de poussins. Ils sont incapables d’expliquer comment ils procèdent pour décider du sexe du poussin qu’ils manipulent, mais vont le ranger avec une grande acuité dans la catégorie « mâle » ou « femelle ». L’apprentissage du métier ne se fait que par l’observation répétée du comportement d’un sexeur expert.