Dernière chance pour gagner le prix Nobel
Publié par Laurent Vercueil, le 6 avril 2016 5.1k
L'autre jour, j'ai reçu un email dont le titre était "Last Chance To Win a Nobel Prize". Avant d'ouvrir le message pour le lire, un doute m'effleura.
A dire vrai, il ne m'est presque jamais arrivé de penser que je pouvais remporter un prix Nobel, même le matin en me rasant devant la glace. Celui de Littérature était réservé à d'immenses auteurs, inspirés par les grands thèmes et traduits dans le monde entier, ou, en tout cas, qui avaient écrit au moins un livre, ce qui n'était pas mon cas. Le Prix Nobel de la Paix était visiblement trop politique pour moi, prudemment en retrait de tout engagement. Aussi, et dès le lycée, mes notes de Physique et de Chimie m'ont ôté toute illusion concernant ces champs disciplinaires et pour les Mathématiques, ce n'était même pas la peine de se tracasser, leur Prix Nobel n'était pas octroyé.
En somme, le plus judicieux eut été que j'obtinsse le Prix Nobel de Médecine, mais encore eut-il fallu que je le méritasse par quelque étude révolutionnaire, originale ou au moins, remarquable. Or j'avais beau, au seuil de cliquer sur le message, fouiller ma bibliographie, je ne trouvais pas de quoi casser trois pattes à un canard.
Or, s'il restait une chance à courir, c'était intéressant de le savoir. Après tout, moi également, je faisais mon boulot aussi bien que tout le monde, avec application et sérieux, et un petit lot de reconnaissance publique n'était pas pour me déplaire. Surtout un petit lot de reconnaissance mondiale et éternelle.
Et puis les Prix Nobel ouvrent des portes. C'est en tout cas ce qu'il me semble avoir lu quelque part. Le roi de Suède, le comité Nobel et les télévisions assurent au récipiendaire une certaine notoriété, qui lui permet, grosso-modo, d'orienter sa carrière future avec plus de liberté.
Honnêtement, par les temps qui circulent, un peu de liberté ne me fera pas de mal. Avant de cliquer sur cette promesse d'éternité, je songeais à ce que cette liberté pouvait m'offrir. Prix Nobel de Médecine, j'allais être submergé de sollicitations, mais que, tout aussi bien, je pourrais refuser avec bienveillance. Evidemment, tous les sujets seraient les miens et mon expertise s'étendra jusqu'aux frontières ultimes de la connaissance, tout comme si rien de ce qui est humain m'était étranger. Mais quelques mots suffiront, avec un voile d'obscurité suffisant pour que chacun y décèle ce qu'il soupçonne d'intelligence infinie. Je serais en quelque sorte libéré du poids de ma bêtise, comme évanouie à l'instant de la remise de la précieuse médaille.
Prix Nobel de Médecine, quelque part, c'est beaucoup mieux que Ministre de la Santé. Il n'y a personne qui puisse vous virer, c'est sûr. Nobel tu es, Nobel tu seras, et pour l'éternité. Les tâches administratives sont absentes et il n'est nul besoin d’échafauder de laborieuses réformes qui finiront toutes par être détricotées, comme le reste. Aussi, au moment de cliquer sur l'annonce triomphale, je me demandais s'il n'était pas préférable de refuser carrément d'entrer au gouvernement afin de m'épargner de sévères désillusions.
Un Nobel doit savoir faire ça : renoncer. Il y a dans certains renoncements plus de grandeur que dans les accomplissements les plus spectaculaires, c'est sûr. Dire non, et tourner les talons. Un point, c'est tout. Nobel, quoi.
C'est submergé par l'émotion contenue de l'homme qui a pris conscience du legs de sa personne qu'il fait à l'humanité, que je cliquais sur le courriel. Il s'agissait d'une pub qui m'incitait à concourir pour gagner le dernier livre publié d'un Prix Nobel dont le nom m'était inconnu. Mais alors, totalement inconnu.