Dans l'œil du crocodile
Publié par Laurent Vercueil, le 6 mai 2016 13k
Ce que nous percevons avec notre rétine repose sur la densité des photorécepteurs à l'endroit où l'image touche le fond de l'œil. Plus la densité est élevée, plus la résolution est importante (le nombre d'informations disponibles par unité de lieu). Chez l’œil humain, ainsi que chez celui de nombreux mammifères (pas tous), un site spécialisé, appelé fovéa (zone centrale de la macula), permet d'assurer au point de fixation, c'est à dire au centre du champ visuel de chaque œil, le maximum de netteté de l'image, de façon à en apprécier la richesse du détail.
Inversement, au point d'émergence du nerf optique, là où se réunissent toutes les fibres provenant des cellules rétiniennes, il est impossible de recevoir l'information lumineuse, d'où la présence d'une tâche aveugle, où la perception est absente.
Heureusement, nous avons deux yeux, ce qui permet de recouvrir la tâche aveugle en superposant les deux champs visuels, et un cerveau, ce qui permet d'anticiper ce qui peut s'y trouver, par déduction à partir des données attendues (environnement uniforme par exemple).
De sorte qu'on peut imaginer que chaque œil (l'autre œil étant masqué) visualise à peu près ceci, en terme de définition de l'image (et de ses couleurs, mais c'est un autre sujet).
Heureusement, nous disposons également de muscles oculo-moteurs et cervicaux, qui permettent de déplacer rapidement la tête et les yeux, pour balayer notre point de fixation sur l'ensemble de l'environnement visuel (à l'aide des saccades oculaires), et ceci étant fait, déléguant la tâche à notre cerveau d'assurer le sentiment de ne pas vivre dans un tunnel, mais au sein d'une image stable, déployée dans de larges dimensions, à la fois riche et dynamique, pleine d'informations pertinentes (ou pas).
Bref, heureusement que nous somme nous et pas des crocodiles, sinon il aurait fallu vivre au ras de l'eau et avec notre rétine, on aurait vu à peu près ça :
Ce qui n'est pas très pratique.
En Australie, ils ont Crocodile Dundee, c'est vrai, mais ils ont aussi Nicolas Nagloo, un chercheur qui s'intéresse plus particulièrement aux propriétés de la rétine du crocodile, crocodile d'eau douce ou d'eau salée (1). Premier point : ces propriétés essentielles ne diffèrent pas, alors que les proies du crocodile d'eau douce sont plus petites que celles du crocodile d'eau salé (en somme, la taille de la proie n'exerce pas de pression de sélection spécifique sur les propriétés du système visuel chez le reptile). Deuxième point, la fovéa du crocodile s'étire, toute en longueur, horizontalement, comme si elle surnageait au dessus de la ligne d'eau.
Figure modifiée d'après l'originale (figure 2 de l'article Nagloo N et al., Journal of Experimental. Biology (2016) 219, 1394-1404). La densité des photorécepteurs est représentée selon un code couleur (la zone de plus grande densité est rouge). Notez la position de l'émergence du nerf optique (tâche noire).
De sorte que l'image perçue par la rétine, peut être interprétée comme ceci (le crocodile dispose de photorécepteurs sensibles à la couleur, comme l'indique l'étude de Nagloo) :
Plus pratique pour surveiller son environnement.
>> Notes
- Nagloo N et al., Journal of Experimental Biology (2016) 219, 1394-1404 doi:10.1242/jeb.135673