Dialogues entre Raison Logique et Rationalité
Publié par Jean Claude Serres, le 1 avril 2016 6.4k
En allant un peu vite Raison, Logique et Rationalité sont très proche voire synonyme et s’inscrivent dans l’intention de procéder à une démarche intellectuelle rigoureuse. Ce serait dommage de s’en tenir là et d’user de tant de mots pour dire si peu de chose.
La raison s’inscrit comme finalité de pensée d’un processus rigoureux et formalisé : le raisonnement juste. Le plus classique, le raisonnement racine est celui de la déduction : Si A est présent (hypothèse de départ) et quand il y a A alors il y a B (propriété) alors conclusion il y aura B. Le raisonnement sera qualifié de juste ou d’exact. Valider un raisonnement consiste à prendre en compte les hypothèses et les propriétés pour vérifier que les conclusions sont bonnes. Exemple si A n’est pas présent alors B ne peut être présent. Dès que l’on aborde les règles plus floues, la rigueur du raisonnement se fragilise. Exemple Si A est présent (hypothèse de départ) et quand il y a A alors il y a peut être B (propriété) alors conclusion il y aura peut être B. Cela ne préjuge pas qu’en absence de A il n’y aura pas B. L’inférence déductive n’est plus aussi nette.
La logique n’est pas une finalité, c’est une base de règles ou propriétés qui vont permettre d’élaborer un raisonnement rigoureux. Il y a des logiques strictes et des logiques floues. Il y a des logiques fortes comme les propriétés de la géométrie euclidienne ou des espaces euclidiens et des logiques faibles voire alogique ou non logique comme un processus de pensée analogique métaphorique ou une structure de discours s’inscrivant dans le carré sémiotique : exemple au nom de l’urgent je rejette le non urgent ( logique de l’urgence ) donc je rejette une part de l’important celle non urgente ( illogisme de l’importance ) en conséquence je traiterai entre autre de choses urgentes non importantes (illogique de l’importance. Alors que le raisonnement juste serai de traiter l’urgence importante et de rendre urgent une partie de l’important (métaphore du seau, du sable et des cailloux).
La rationalité procède d’un raisonnement rigoureux mis au service d’une finalité opérationnelle, avec des objectifs d’efficacité (capacité à atteindre l’objectif) et d’efficience (capacité à utiliser le moins de ressource). C’est le troisième terme qui est discutable la rationalité n’est pas forcement pertinent. Ses dérives sont connues : le rationalisme et la rationalisation. Les processus de rationalisation comme l’organisation scientifique du travail (1970), la maîtrise statistique des procédés (1990) ou encore la rationalité économique de l’économie capitaliste, puis la rationalité financière de l’économie néolibérale induisent des démarches très réductrices. La dimension « humaine » des systèmes et organisations vivantes sont réduites à ce qui est mesurable, au quantifiable. Ne chercher à résoudre que les problèmes mesurables a été la devise Six Sigma de Général Electric. Les dérives dramatiques en sont les totalitarismes visibles comme le nazisme ou sous-terrain comme le totalitarisme néolibéral. L’illogisme est à son comble puisque ces formes de totalitarismes sont auto destructives !
Cette première valse à trois temps n’est pas si tranché que ces premiers paragraphes tentent de le faire. Ces trois termes font système, ils sont en interaction permanente et se nourrissent mutuellement. Le rationalisme a besoin de règles de logiques et de raisonnements plus ou moins justes et appropriés. Le raisonnement est en recherche d’efficacité, d’efficience, d’élégance et de simplicité. Quand aux logiques il y en a de toutes sortes. L’une des grandes difficultés de la prise en compte de la complexité de notre représentation humaine du monde est de sortir des processus de pensée réducteurs et spécialisés pour prendre en compte la globalité d’une problématique, d’engager une dialogique : faire dialoguer les logiques entre elles afin non pas de simplifier (réduire le complexe, l’expliquer, le mettre à plat) mais de le condenser, le rendre compréhensible et partageable tout en gardant sa mise en plis, sa complexité relationnelle. Nous avons aussi à prendre en compte les reliances et les dialogiques de la pensée systémique, du penser agir en complexité.
Pour ce qui est des multiples logiques ou règles d’inférences nous avons a prendre en compte d’autres règles que la déduction mécaniste du cause effet, pour ouvrir les raisonnements aux logiques systémiques Si A et Si A entraine B et si B entraine A alors C, A et B pour les systèmes ouverts, les logiques paradoxales ou non linéaires Si A et non A alors B Si A ou non A alors Non B (ago antagonismes) ou encore les logique chaotiques.
Nous avons aussi à prendre en compte des rationalités dédaignées par les puristes rationnels : les rationalités narratives, analogiques, métaphoriques et poétiques. Elles sont aussi actrices de la transformation sociale des communautés humaines.
En guise de conclusion Rationalité, Raison et Logiques ou plutôt Raisonner et Rationaliser à l’aide de multiples logiques sont au service des fonctions cérébrales à prendre des décisions adéquates, pertinentes pour vivre et survivre dans nos communautés humaines. Le cerveau mais pas que lui dans le corps humain est un système de surveillance et de prise continuelle de micro décisions, ce que l’on peu appeler une faculté d’intelligence à nous adapter au contexte.