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Mémoires du Futur

Attention Mémoires en Travaux !

Publié par Jean Claude Serres, le 16 février 2016   2.7k

Ce troisième forum des lucioles nous a plongés dans les labyrinthes du musée de la résistance et de la déportation. Entres mémoires et histoires comment se construisent nos différentes cultures communautaires.

Mémoires cérébrales

Le cerveau de l’espèce humaine ne stocke pas nos différentes mémoires comme un vulgaire ordinateur sur un disque dur indexé. Parler de mémoire ne peut s’effectuer qu’en décrivant nos processus de mémorisation et de remémoration, à travers nos différents langages acquis. Dans le langage maternel verbalisé, il semblerait que nos processus de mémorisation et de remémoration entrent en résonances ou synchronisent multiples assemblées de neurones organisées en arborescences parallèles phonétiques, syntaxiques, sémantiques très proches des cartes motrices de la parole (lèvres pincées ou ouvertes, langue en avant ou en arrière, etc.). Ce sont des arborescences similaires qui organisent notre pensée mathématique algébrique. Le recyclage neuronique et les bricolages associés sont une vielle tradition de l’évolution des espèces dont celle des humains.

Deux spécificités sans doutes de notre espèce organisent nos souvenirs celle de notre impérieuse nécessité de construire du sens (individuel et collectif) et celle de la continuelle reconstruction et déformation des souvenirs remémorés. Quand le sens ne nous est pas donné, nous l’inventons. La construction de nos souvenirs, mémoires singulières et collectives prennent du poids en fonction des affects associés. Ils sont éminemment subjectifs et orientés par nos intentions présentes. En fait il n’existe pas de mémoires du passé mais seulement des mémoires spatiales présentes et temporaires car elles peuvent être détruites, dans nos cerveaux comme dans les objets qui les transportent. Elles sont du « passé » quand elles nous servent à remémorer dans l’instant présent notre intention d’organiser nos actions présentes ainsi qui nos mémoires présentes et du futur. Mais toutes n’existent que dans l’instant présent de la remémoration consciente ou inconsciente. C’est ce que nous appelons culture, au sans large, la culture artistique théâtrale, littéraire et cinématographiques n’en étant qu’une petite partie, les sciences dont l’histoire une autre partie, d’un ensemble immense et en constante construction : la noosphère.

Mémoires singulières et mémoires collectives

La visite commenté du musée de la résistance et de la déportation nous a permis de découvrir ce travail de fond des historiens, en charge d’éclairer nos lanternes de la manière la plus objective sur la deuxième guerre mondiale. Nos diverses représentations de cette période tragique ont été construites par les mémoires familiales à partir de leurs positionnements politiques, par les nombreux films, romans et récits, par la rencontre de monuments, de village martyr comme Oradour sur Glane, le mémorial de Vassieux-en-Vercors plus près de chez nous, ou encore de cérémonies fortuites commémoratives. La force d’un musée et particulièrement de ce musée est d’inscrire ce travail de mémoire sur les temps long, ceux de l’histoire qui a précédé et qui a suivie la période tragique, les engagements personnels dans la résistance, actes forts dans une trajectoire personnelle beaucoup plus longue comme celle de Pierre Fugain. Il y a aussi les temps longs de la construction du récit historique par la confrontation avec les mémoires encore vivantes, par la découverte des zones d’ombres encore difficile à explorer comme celle de l’épuration à la libération. Faire le deuil des cotés positifs et héroïques en équilibre objectifs avec les cotés plus sombres et honteux reste encore aujourd’hui, 70 ans après, un travail de longue haleine. Un film comme le Bouton de nacre révèle combien ces totalitarismes tragiques s’inscrivent dans la durée, font parti du Démens permanent de la condition humaine.

Un récit historique collectif comme le récit singulier de chacune de nos existences sont des chantiers permanents qui nourrissent notre questionnement du moment. Ils sont reconstruits en permanence sur le plan communautaire politique ou individuel pour donner sens à nos engagements actuels. Comment ces récits peuvent-ils nous aider à ne pas reproduire les erreurs du passé ?

La « résistance » est un terme qui peut avoir une connotation très positive ou négative pour ceux qui ont vécu la tragédie et vice-versa pour la « collaboration ». Les formes de résistances et de combats du XX siècles étaient celles de l’opposition à l’ennemi, au patronat etc. Aujourd’hui la collaboration aux changements sociétaux, à la mondialisation est plutôt perçue positivement dans les métropoles et villes créatives. La résistance à ces changements est davantage perçue comme négative. C’est tout le contraire dans le monde rural et dans la France périphérique ».

Pour ma part, la nouvelle forme de résistance à mettre en œuvre individuellement et collectivement me semble d’une nature bien différente de celle des années quarante. Il nous faut développer une forme de résilience, une capacité d’adaptation à ce qui advient et que nous avons nous même fait advenir. Il ne s’agit plus d’être contre mais de devenir différents. La part d’ombre et d’incertitudes n’en sont que plus grands. Nous pouvons encore créer des boucs émissaires mais cela ne sera guère performant !

Mémoires du passé, du présent et du futur

Par rapport à l’avenir qui advient qui devient et que nous ne pouvons prévoir, les chemins que nous emprunterons modifieront la destination comme les instigateurs et les destinataires. Ces chemins s’inscrivent sur plusieurs générations. Nos mémoires du passé, du futur et du présent sont des mémoires éphémères, ravalées à chaque instant présent pour servir nos intentions profondes et confortés nos engagements. Pour ceux qui vivent dans un état dépressif (dépression individuelle ou sociale) le ravalement n’invite pas à faire face dans l’action mais au repli sur soi, à la peur.

Les mémoires du passé sont des points bien rares dans l’immense espace de nos existences, quelques souvenirs régulièrement revisités et donc remodelés. Il y a aussi les conditionnements non conscient, des rétroviseurs nostalgiques du passé. Faute de travail sur les mémoires du présent et du futur, ces quelques points de repères aveuglent nos actions et prennent toute la place, comme dans une dépression nerveuse.

La mémoire du présent est notre construction mentale singulière et collective de notre carte du monde, de l’état du monde aujourd’hui. Elle est rarement multipolaire et se focalise trop souvent sur la cause racine de tous nos « malheurs ». Construire et partager une carte du monde multipolaire, prenant en compte sans jugement de valeurs les multiples mutations sociétales (climatiques, familiales, religieuses, économiques, industrielles, numériques etc. ) en prenant en compte autant de points positifs que négatifs est une façon efficace de se prémunir de tout réductionnisme, manichéisme et réification propres aux extrémismes. C’est un combat permanent : sortir des logiques de désaccords et de débats argumentaires autant marginaux que stériles, apprendre à intégrer les divergences, à apposer au lieu de opposer, à transformer nos contradictions en dynamiques créatives vertueuses.

La construction de notre mémoire du futur est une autre stratégie complémentaire à l’élaboration d’une carte mentale multipolaire de « l’état du monde » pour prendre poids dans notre imaginaire et compenser les effets des mémoires du passé, ne pas leur laisser toute la place. La mémoire du futur est un véritable conditionnement, une fabrication volontaire de saillances dans notre inconscient. Ainsi à partir d’une projection sur une dizaine d’années, chaque jour qui passe, nous serons attentionnés par ces saillances à nous diriger vers ces attracteurs « étranges » que nous auront préalablement sélectionnés. Il ne s’agit pas de se fixer des buts précis à des horizons donnés dans une logique d’atteinte de résultats. Il s’agit de développer des compétences nouvelles, des pratiques nouvelles par rapports aux différents enjeux sociétaux, une forme d’auto discipline peut être. Il s’agit de développer des comportements plus adaptés dans nos postures familiales, professionnelles, ludiques, citoyennes, éducatives et responsables d’un mieux vivre ensemble dans la diversité. Cependant, cela reste un chemin difficile à engager pour la personne qui n’en a pas encore perçue les bénéfices.