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Des neurosalades

Publié par Laurent Vercueil, le 28 février 2016   3.7k

Est-ce qu'on nous raconte des neurosalades ? Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il ne suffit pas d'accoler le préfixe "neuro-" à n'importe quel substantif pour créer quelque chose d'intéressant, scientifiquement parlant. Le terme de "faux-nez" témoigne de façon adéquate de la tentation du grimage, de l'envie de passer pour ce qu'on n'est pas. Le cas de la "neuropsychanalyse" illustre bien ce genre d'imposture, comme je l'avais pointé dans un article pour l'excellente revue "Science & Pseudo-Science". Ou comme employé à tort et à travers, dans le titre d'un billet de ce blog-même... (mais là, c'est humoristique, ou ça tente de l'être). Mais les exemples ne manquent pas...

Alors, que signifie "neuro-" ? Et comment savoir si c'est de la science, ou si ça n'en est pas ? (ce qui ne retire aucunement l'intérêt qu'il peut y avoir... la science n'est pas la seule chose intéressante ici bas, heureusement). Tout organisme vivant disposant d'un cerveau ou d'un système nerveux peut faire l'objet d'une approche scientifique "neuro-". Les maladies qui affectent le cerveau constituent le domaine de la neurologie. Les neurosciences s'intéressent scientifiquement au fonctionnement cérébral et neuronal. Même la glie fait partie des neurosciences, à défaut d'une glioscience... Il existe une "neuro-paléontologie" (ou neuro-anthropologie) qui s'intéresse au développement cérébral, par exemple chez l'Homo floresiensis. L'homme, en tant qu'agent économique, peut faire l'objet d'une étude de son comportement, de ses décisions, à partir des connaissances neuroscientifiques, et c'est la neuro-économie. etc...

Reconnaissons que des débordements se font jour, et qu'un effet de mode consiste à baptiser "neuro-" tout ce qui pourrait, éventuellement, faire l'objet d'un nouveau marché, d'une nouvelle tendance. Le neuromarketing est un bon exemple, parmi d'autres, de cette usurpation. Il s'agit d'un produit de vente, qui tente de surfer sur la vague neuronale.

Pour autant, il existe la tentation inverse, qui disqualifie tout ce qui touche au "neuro-" pour des raisons plus souvent militantes qu'objectives, comme c'est souvent le cas avec toutes les formes de généralisations (et d'essentialisme...). Dans un livre aussi lumineux que dense (1), Denis Forest passe en revue ces "neuroscepticismes", dont il fait une analyse précise des arguments. Le neuroscepticisme s'oppose à la neuromanie ambiante. Il calme les enthousiasmes débridés pour les voluptueuses images de cerveaux colorés. Il amène une critique, parfois radicale, des options neuroscientifiques.

Globalement, et à la suite de Denis Forest, on peut en considérer 3 grands types :

  • le premier neuroscepticisme est relativiste. Il touche essentiellement à l'ensemble de la science au travers du cas particulier des neurosciences. Il considère le discours scientifique comme ancré socialement, et que l'étude de ses conditions de production amène à relativiser. Les scientifiques ne sont pas des "découvreurs" mais des "inventeurs" dans la mesure où ils créent leur propre objet d'étude. Ainsi, d'après ce courant, le bacille de Koch n'existait pas avant que Koch ne l'invente. Il n'y a donc pas de cerveau sans neuroscientifiques
  • le second est politique. Il reproche aux neurosciences une hégémonie croissante sur la recherche, menaçant des champs disciplinaires qui devraient être préservés. Un courant de la sociologie considère même que les neurosciences sont la pointe avancée du néolibéralisme et s'emploient à faire accepter un discours conservateur (2)
  • le troisième est philosophique. Il considère que le domaine des neurosciences est circonscrit à l'étude du "comment" et que le "pourquoi" lui échappera par essence. Les images nous montrent comment un cerveau exécute telle ou telle tâche, mais jamais pourquoi. Les relations entre la pensée et le cerveau font particulièrement l'objet d'un débat riche (3)

Mais le scepticisme le plus fécond est scientifique. Toute production de connaissance est sujette à péremption. Le paradigme qui explique les faits produits, peut être renversé par de nouvelles observations. Les travaux sont répliqués, répétés avec de subtiles variations. Parfois ça colle. Parfois non.

Ainsi, il est des disciplines où le "neuro-" est une enflure inutile. En somme, le cerveau y est inutile.

Enfin, comme objet, parce que comme outil, ça peut toujours servir....

>> Notes :

  1. Denis Forest, Neuroscepticisme. Ithaque, 2014
  2. Par exemple dans les ouvrages de Brigitte Chamak ou de Sebastien Merle
  3. Excellente discussion au milieu du livre de Denis Forest. Je ne fais ici qu'un raccourci grossier (et certainement fautif) de son analyse