Sacha Krakowiak : pour un musée de l’informatique
Publié par Marion Sabourdy, le 25 juin 2012 8k
Très récente, l’histoire de l’informatique n’en est pas moins passionnante. Sacha Krakowiak, professeur émérite en science informatique à l’Université Joseph Fourier et chercheur à l’INRIA plaide pour un musée – pourquoi pas virtuel - de la discipline.
Selon vous, quel serait l’intérêt d’un musée de l’informatique ?
Un tel musée répondrait à un véritable besoin car l’informatique a envahi tous les aspects de notre vie. Les gens sont plutôt familiers des outils mais connaissent mal la science derrière. Par conséquent, elle reste encore mystérieuse à leurs yeux, ce qui alimente les craintes et les inquiétudes. De plus, l’informatique - et plus largement le numérique - se trouve au centre de nombreux enjeux sociétaux comme la protection de la vie privée, la propriété intellectuelle… Sans oublier bien sûr l’aspect historique et patrimonial même si l’informatique n’a « que » 80 ans environ !
Où se place la France dans cette réflexion ?
Du point de vue de la conservation et de la présentation du patrimoine, nous sommes plutôt en retard par rapport aux Anglais, aux Allemands et aux Américains qui ont déjà des musées consacrés à l’informatique. En France, il n’existe encore que très peu d’initiatives, certaines privées (dont une provisoirement suspendue à la Défense à Paris) et d’autres émanant par exemple de la Villette ou du Musée des Arts et Métiers. Après son exposition MuseoGames (2010-2011), ce dernier organise en novembre prochain un colloque sur l’avenir d’un musée de l’informatique. L’Académie des sciences a ouvert une section mécanique et informatique seulement en 2003 et il n’existe pas encore de chaire permanente dédiée à l’informatique au Collège de France.
Quel serait la cible d’un tel musée ?
Tout le monde bien sûr, mais en particulier les jeunes et parmi eux les filles ! Depuis plusieurs années, il y a une très grande diminution du nombre d’étudiantes en informatique en Europe, qui perçoivent souvent ces études comme un « truc de geek ». On assiste d’ailleurs à une crise plus générale des vocations scientifiques chez les jeunes, notamment en informatique alors que c’est un domaine qui crée des emplois. On a besoin de 30 000 personnes dans ce domaine aujourd’hui en France. Néanmoins, on progresse : la discipline va être enseignée au lycée dès septembre.
Qu’aimeriez-vous découvrir dans le musée idéal ?
Par chance, le patrimoine physique est riche et divers. Depuis les débuts de l’informatique, et même avant, des centaines de machines ont vu le jour (machines à calculer, serveurs, consoles de jeux vidéos, les machines qui ont marqué une rupture comme les trieuses de cartes perforées d’IBM et Bull, les premières machines à programme enregistré anglaises…). L’association Aconit créée à Grenoble en 1985 en conserve environ 2000, malheureusement de façon précaire et sans aucune mise en valeur. Nous avons déjà débuté notre réflexion autour de petites « vitrines » d’exposition dans des lieux en rapport avec la recherche, l’enseignement ou bien des lieux de grand passage comme la gare, l’hôtel de ville. L’une d’elles est actuellement exposée à l’IUT d’informatique et l’autre dans le hall d’entrée de l’INRIA à Montbonnot.
Mais au-delà des machines, il existe également un patrimoine intellectuel constitué par les logiciels, les documents, les savoir-faire... Cet aspect immatériel est crucial : beaucoup de documents n’existent que sous forme numérique. Seront-ils encore lisibles dans 10, 20 ou 100 ans ? Idem pour les concepts autour de cette science : comment fonctionnent les bases de données, les apports de Turing et von Neumann, les idées à la base de l’Internet…
Comment présenter au mieux ce patrimoine immatériel ?
Une alternative au musée physique pourrait être un musée virtuel qui permettrait souplesse et personnalisation. Chaque visiteur pourrait suivre un parcours dédié, selon son intérêt propre et son niveau de connaissance. Un tel musée ne serait pas limité à une collection d’objets et pourrait présenter l’ensemble de l’évolution des machines. Il serait surtout à même de présenter les grands concepts autour du logiciel, de manière pédagogique, ainsi que les personnalités qui ont marqué l’informatique. Enfin, puisque la notion de virtuel implique une communauté et des interactions, il serait possible de faire évoluer ce musée au gré des remarques et contributions.
>> Illustrations : Michael Kappel, Scott Beale, Michael Kappel, sbisson (Flickr, licence cc)