Risques naturels : dans les entrailles du glacier de Tête Rousse

Publié par Marion Bisiaux, le 10 décembre 2012   6k

Le glacier de Tête Rousse, dans le massif du Mont Blanc, a fait l’objet d’une étude approfondie conduite par plusieurs laboratoires grenoblois pour évaluer le risque de rupture d’une poche d’eau sous-glaciaire. Adrien Gilbert, doctorant en glaciologie, nous décrit sa partie du travail.

Situé sur la voie normale d’accès au Mont-Blanc, à 3200m d’altitude, le glacier de Tête Rousse voit défiler chaque année de nombreux alpinistes et, plus récemment, quelques groupes de scientifiques et ingénieurs. Ceux-ci s’intéressent en particulier à une gigantesque poche d’eau découverte en 2010 sous le glacier et menaçant d’un risque de lave torrentielle 900 habitations de la ville de Saint-Gervais (74) en cas de rupture de la langue glaciaire. Ce scénario catastrophe ayant déjà eu lieu en 1892, causant la mort de 175 personnes, les autorités de Saint-Gervais ont organisé des opérations de vidange de la poche en 2010 puis à nouveau en 2011 (voir la vidéo plus loin).

Vue plongeante sur le glacier de Tête Rousse. L’étoile indique la position de la poche d’eau

Etudiant en thèse au Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement (LGGE) Adrien Gilbert faisait partie de l’équipe de chercheurs déployée sur le glacier pour conduire l’étude de la poche d’eau, aux côtés de son directeur de thèse, Christian Vincent (ingénieur de recherche CNRS au LGGE). Au-delà du LGGE, l’identification et l’examen de cette poche d’eau a été le fruit d’une collaboration étroite entre divers chercheurs de laboratoires de l’Observatoire de Grenoble (OSUG) et d’IRSTEA (ex-CEMAGREF). L’équipe comprenait notamment : Anatoly Legtchenko (directeur de recherche IRD au Laboratoire d’Etude des Transferts en Hydrologie et Environnement), Stéphane Garambois (maître de conférence UJF à l’Institut des Sciences de la Terre), Olivier Gagliardini (maître de conférence UJF au LGGE) et Emmanuel Thibert (ingénieur de recherche à IRSTEA).

Lors de ses travaux de doctorat, Adrien est lui-même allé caresser le glacier de ses crampons, pour y mesurer la température de la glace, de haut en bas du glacier et sur toute son épaisseur (environ 60 mètres). Il a présenté une partie de ses recherches lors de la récente Journée de l’Observatoire sur les risques naturels (cf. podcasts en consultation et la vidéo de la conférence « Risque de rupture d’un lac sous-glaciaire : le cas du glacier de Tête Rousse », donnée le 24 mai 2012 par Christian Vincent, Adrien Gilbert (LGGE) & Antoine Chevallier (LTHE) ci-dessous) :

Nous en avons profité pour lui poser quelques questions :

Dans quel but avez-vous fait ces mesures ?

Nous voulions comprendre pourquoi une poche d’eau s’était formée sous le glacier et savoir s’il était possible qu’elle se remplisse à nouveau. Les mesures ont montré que l’eau provenant de la fonte de la neige dans la partie supérieure du glacier s’infiltrait dans le manteau neigeux, puis s’écoulait jusqu’à être bloquée par une zone de glace froide. Cette zone froide, au front du glacier, a agi comme un barrage où l’eau a pu s’accumuler et former petit à petit une cavité sous l’effet de la pression. Une telle configuration est assez rarement observée et pour tenter de l’expliquer, j’ai développé un modèle numérique permettant de construire un glacier virtuel. Le but était de simuler les températures au sein de la glace à partir des conditions climatiques.

Et avec le réchauffement climatique, la température du glacier va-t-elle changer ?

Les températures plus douces favorisent la fonte de la neige sur tout le glacier ce qui a paradoxalement tendance à le refroidir, car la couverture neigeuse a un effet isolant. A l’horizon 2040, selon le modèle, la glace pourrait donc devenir suffisamment froide pour diminuer l’entrée d’eau dans le glacier et limiter la formation d’une poche d’eau.

D’ici là, y a-t-il des chances pour que la poche d’eau se remplisse à nouveau ?

Oui, nous l’avons d’ailleurs déjà observé en 2011. Cependant, la cavité a perdu au moins la moitié de son volume, elle contient alors moins d’eau.

Adrien Gilbert dans son bureau

Adrien poursuit désormais ses travaux de thèse en se consacrant à l’étude d’autres glaciers dans le massif du Mont-Blanc. Il devrait soutenir sa thèse à l’horizon 2013. Mais bien d’autres yeux restent rivés sur le glacier de Tête Rousse car si la cause de rétention d’eau a été élucidée, les solutions à long terme pour éviter des pompages annuels sont encore à l’étude.

>> Pour en savoir plus : voir le reportage d’Aléas TV sur la gestion de cette menace par la Mairie de Saint-Gervais

>> Illustrations : A. Gilbert, LGGE-OSUG, Marion Bisiaux