Retour sur le workshop Muséographie Créative
Publié par Héloïse Bouillard, le 12 septembre 2013 3.1k
En avril dernier, nous organisions le workshop Muéographie Créative, autour de notre future exposition Squelette, qui es-tu ?. Retour d'expérience avec mémoire à la clé...
Dès le début de la conception de l’exposition Squelette, qui es-tu ?, nous avons souhaité organiser en parallèle de notre réflexion des journées de créativité et d’innovation ouverte, dans l’esprit d’une muséologie participative. Nous souhaitions ainsi favoriser l’implication des publics dans la conception même de l’exposition afin de faire émerger des idées innovantes en termes de médiation. C’est ainsi que nous avons pensé l’événement « Muséographie Créative », raconté par Marion Sabourdy dans un précédent article. Les scénarii de médiation ressortis de ces journées, enrichis, nous l’espérions, des expériences de chacun, pourraient par la suite être réinvestis dans l’exposition Squelette, qui es‐tu ?
Pour la Casemate, cette première en la matière devait permettre à la fois l’émergence de nouvelles idées de médiation, mais également une sorte de sourcing des attentes du public en matière de médiation, d’expérience de visite et sur le plan des contenus, que nous pourrions « réinjecter » dans l’exposition.
D’une démarche de muséographie innovante, l’évènement s'est transformé pour moi en un formidable terrain d'enquête pour mon mémoire de fin d’études.
Sur les 23 participants aux journées Muséographie Créative, 9 ont répondu à ma demande d’entretien dans le cadre de mon mémoire. En plus de ces 9 entretiens, j’ai également eu accès à un questionnaire auquel 2 élèves de l'Ecole de la Deuxième Chance avaient répondu. Afin de compléter mon analyse, je me suis aussi appuyée sur trois types de documents : la feuille de réponses collectives à la question "Qu'est-ce qu'une exposition pour vous ?", les 4 scenarii produits par les équipes, ainsi que les dessins de "brouillons" produits au cours de ces deux journées.
Je souhaitais ainsi pouvoir aborder plusieurs points : mettre en perspective les « résultats » avec les tendances muséographiques actuelles, mais également révéler des attentes ainsi que des craintes, des limites autour d'un sujet sensible relatif à la mort.
Pour analyser les documents à ma disposition, j’ai recensé tous les sujets qui y étaient abordés, en les regroupant en plusieurs grandes thématiques. J’ai ainsi compté le nombre de mentions de chacun de ces sujets, en essayant a chaque fois d’en saisir l’idée essentielle. Voici donc dans les grandes lignes, la présentation de quelques résultats.
AUTOUR DE LA DEMARCHE
Parmi les éléments de motivation recensés, la curiosité est majoritairement évoquée par les participants. Une curiosité pour le sujet (l’anthropologie), mais surtout pour la démarche en elle-même, considérée comme originale par beaucoup. Les rencontres avec des personnes d’horizons très variés constituent également un élément fort de motivation.
Face à la curiosité évoquée pour la démarche, les participants notent cependant un manque de clarté de la démarche : qu’allaient-ils faire exactement ? Pour qui, pourquoi ? Qu’allaient devenir leurs productions après ces 2 journées ?
La richesse des idées produites, des discussions, ainsi que l’énergie dégagée lors de cet évènement ont été particulièrement saluées, conférant à ces journées une note globalement très positive.
Beaucoup évoquent la curiosité de voir « ce qui va suivre », ce que nous allons faire des idées produites au cours du workshop, et formulent le désir d’être tenus au courant, d’avoir un suivi du projet.
Si l’envie de voir leurs idées utilisées est globalement présente, les participants se disent conscients des contraintes auxquelles fait face l’équipe des expositions de la Casemate (techniques, financières, faisabilité, etc.)
Enfin, les participants semblent accepter le fait que leurs idée ne puissent toutes apparaitre dans l'exposition, et pas nécessairement telle qu'elles. Cependant, beaucoup expriment le besoin d'une reconnaissance et d'une valorisation du travail effectué pendant ces journées, et souhaitent se retrouver dans cette exposition qui est un peu la leur.
AUTOUR DE L'EXPOSITION
Les participants semblent exprimer dans leurs entretiens comme dans les scenarii produits des attentes expérientielles fortes et mémorables, faisant ainsi écho aux tendances de la muséographie actuelle laissant la part belle à l'expérience du visiteur.
Malgré une attente forte dans le domaine du numérique, certains rappellent cependant l'importance de l'authenticité des artefacts, d'autant plus lorsque ces artefacts sont des ossements, porteurs d'une valeur symbolique et d'une dimension émotionnelle fortes.
Deux points d'attention sur la place de l'humain dans l'exposition ont par ailleurs été relevés. Le premier est celui de l'humain, de l'individu qu'a été le squelette dans le passé : nombreux sont ceux qui, d'un manière ou d'une autre, cherchent à rendre son humanité au squelette. L'autre humain dans une telle exposition, c'est le "soi" du visiteur, dont la place et le rôle sont à ne jamais perdre de vue. Si cette dernière dimension est de mieux en mieux prise en compte dans la muséographie actuelle, les participants la revendiquent à travers leurs idées et leurs réponses.
Enfin, si la vision du squelette a rarement laissé indifférent, voire s'est revelée source de malaise, il semblerait que la portée d'un regard scientifique confère un cadre plus "froid" à l'objet et contre-balance l'émotion suscitée par la vision d'ossement humains. Il s'agirait donc d' "utiliser" l'émotion à bon escient : de véritables ossements pour attirer l'attention du visiteur, mais en veillant à garder un regard scientifique distancié sur cet objet pour ne pas se laisser submerger par l'émotion.
Ce que nous retiendrons...
Pour beaucoup, l'engagement dans cette démarche de réflexion collective a été facilité par un format d'évènement attrayant et "léger" : les participants ne s'engageant que pour deux journées, l'investissement demandé était certes intense mais de courte durée. L'engagement ponctuel, intense mais court, semble ainsi avoir été apprécié et en a aidé certains à "franchir le pas".
Nous l'avons constaté face au nombre et à la richesse des idées produites lors de ces journées : la phase de scénarisation d'une exposition est probablement celle qui permet la plus grande créativité. L'intégration des publics d'une exposition dans cette phase de scénarisation semble donc particulièrement pertinente puisqu'ils peuvent très librement exprimer ce qu'ils attendent, ce qu'ils imaginent, ce qu'ils voudraient qu'on leur raconte ou qu'on leur fasse vivre...
... à condition, pour les concepteurs de l'exposition, de savoir saisir l"'idée derrière l'idée", ce qui en fait l'essence, ce que la proposition exprime et sous-tend. Si l'idée originale est reprise, modifiée et adaptée, c'est cette essence-même qui procurera aux participants le sentiment de se retrouver dans l'exposition, d'y voir leur "grain de sel" et de s'en sentir les co-auteurs.
Enfin, cette démarche d'innovation ouverte qui reste à perfectionner aura permis de bousculer et enrichir des habitudes de travail grâce aux séances de créativité et au travail de réflexion collective... tant du côté des participants que de celui des concepteurs de l'exposition !