Projet Thinkrotron, géographie des imaginaires
Publié par Laurent Chicoineau, le 11 juin 2012 3.5k
L’artiste lyonnais Laurent Mulot démarre une résidence à Grenoble, dans le quartier Berriat-Presqu’île scientifique, à l’invitation de la Casemate et de l’ESRF Synchrotron.
Nul besoin de parcourir des milliers de kilomètres pour céder à la tentation du dépaysement radical. Quelquefois, pousser la bonne porte suffit. Comme celle d’un laboratoire de recherche scientifique. C’est en tous les cas l’expérience de Laurent Mulot, artiste plasticien. Lorsqu’en 2010, il a franchit le seuil du LHC, au CERN, il ne s’attendait pas à un tel exotisme, un tel dépaysement soudain. Car pour celui qui n’en est pas, le monde scientifique apparaît souvent étrange, empreint de codes et de langages inconnus, aux us et coutumes particuliers. Pourtant ce monde n’est pas loin : le CERN est implanté à la frontière franco-suisse ; à Grenoble, de nombreux centres de recherche sont installés en pleine ville, comme l’ESRF par exemple.
Tel un explorateur de l’ici-même, Laurent Mulot s’intéresse à cette articulation entre monde scientifique et monde quotidien. Il en a fait le moteur de ses derniers travaux, comme l’exposition "Augenblick", présentée en 2011 à Fort L’Ecluse (voir vidéo). Pour ce projet, il est allé à la rencontre des habitants et professionnels qui vivent et travaillent au-dessus de l’anneau du collisionneur de particules du CERN, à la surface. Là, il les a écoutés, enregistrés, photographiés, filmés. Puis, dans un mouvement de va-et-vient, il a fait de même avec les scientifiques, suivant un unique fil rouge : la synchronicité. C’est-à-dire la correspondance temporelle entre deux évènements, celui filmé ou photographié avec les « gens de la surface » et celui qui se déroulait exactement au même moment, dans le collisionneur de particules.
Le rendu de cette correspondance prit la forme de diptyques photographiques et vidéos. Mais au-delà de ce dialogue des formes, c’est bien à des rencontres humaines que Laurent Mulot nous invite. Agissant comme un anthropologue, ou comme un reporter, ses dispositifs artistiques visent à nous introduire à l’autre, à ouvrir des portes, à nous engager dans le dialogue des cultures (scientifiques, techniques, professionnelles) et des individus.
C’est cette même démarche qu'il poursuit actuellement dans un projet baptisé "Aganta Kairos", à propos de l’expérience scientifique Antarès. Cette expérience internationale consiste à observer, à l’aide d’un gigantesque détecteur à particules installé au fond de la mer méditerranée, les interactions entre la croûte terrestre et des neutrinos venus de l’espace profond (1). Ces neutrinos traversent la Terre de part en part ; Laurent Mulot s’intéresse alors à leur point de sortie, et va mener son enquête là où les scientifiques ont calculé les trajectoires. C’est ainsi qu’il s’est retrouvé début 2012 au sud de l’île de Madagascar, pour rencontrer et dialoguer avec les Tanalana, une ethnie d'éleveurs de zébus et de chèvres. Bien sûr, personne sur Terre ne ressent les neutrinos le ou la traverser – c’est pourtant ce qui nous arrive régulièrement – pas plus un Tanalana qu’un Grenoblois. En revanche, dès qu’on commence à parler du ciel, de l’espace, de la lumière, tous les peuples du monde ont des savoirs et des récits à partager…
Des neutrinos aux rayons X
Pas de neutrinos à tracer à Grenoble, c’est aux rayons X de l’ESRF Synchrotron que Laurent Mulot va s’intéresser. Son projet pour Grenoble : constituer des binômes habitant-chercheur et générer des rencontres et conversations entre eux en faisant découvrir à l’autre sa pratique professionnelle. Exemple, un artisan boucher du cours Berriat est associé avec un physicien d’un des laboratoires de l’ESRF. Ce dernier va alors suivre son binôme aux abattoirs de la ville et, réciproquement, l’artisan boucher est invité à participer à une expérience scientifique à l’ESRF. Le tout sous l’œil et l’oreille attentifs de Laurent Mulot…
L’expérience démarre ces jours-ci. De plus, elle est participative ! (voir ci-après). Toutes ces rencontres, discussions, réflexions partagées, seront présentées dans une exposition à la Casemate, fin septembre 2013 – en ouverture des Rencontres-i. "Thinkrotron" (du verbe anglais to think, penser) en écho au Synchrotron (2), comme une invitation poétique à un voyage immobile entre sciences et société.
>> Si vous aussi vous souhaitez constituer un binôme dans ce projet, que vous soyez chercheur ou résident dans le quartier de l’ouest grenoblois, n’hésitez pas à contacter la Casemate (infos@ccsti-grenoble.org). Une réunion d’information et de rencontre avec Laurent Mulot est programmée le 20 juin prochain, de 19h à 21h dans les locaux de l’union de quartier Berriat (14 place St Bruno à Grenoble). Nous vous y attendons nombreux !
>> Projet à suivre sur le site de La Casemate
>> Notes
- Pour en savoir plus sur la collaboration scientifique internationale ANTARES, voir le site du centre de physique des particules de Marseille
- « Synchrotron » est le nom du rayonnement émis par les particules à chaque fois qu’elles sont déviées de leur trajectoire en ligne droite
>> Illustrations : CERN, Laurent Mulot.