A la recherche des ondes gravitationnelles avec Frédérique Marion
Publié par Marjorie Bison, le 18 septembre 2014 4.3k
Suite de notre série de rencontre avec des chercheurs grenoblois ou rhônalpins, à un mois des Fondamentales du CNRS. Après Henri-Claude Nataf et Saadi Khochbin, c'est le tour de Frédérique Marion. Direction les étoiles !
Découvertes de façon indirecte, les ondes gravitationnelles sont, depuis des dizaines d’années, le sujet d’étude de nombreuses équipes de recherche. Un de leurs principaux objectifs est de mettre en évidence l’existence de ces ondes de manière directe. Frédérique Marion, directrice de recherche au Laboratoire de Physique des Particules (LAPP) d’Annecy-le-Vieux et responsable de l'équipe Virgo, nous dévoile quelques informations sur ces ondes avant la conférence qu’elle donnera le 11 octobre prochain aux Fondamentales du CNRS [ndlr : session "A la poursuite des ondes gravitationnelles" ].
Conviction et persévérance : c’est par ces deux mots que je définirais les qualités requises pour être un chercheur travaillant sur les ondes gravitationnelles. Qu’est-ce qui me fait dire ça ? Ma rencontre avec Frédérique Marion. De la conviction. Car ces équipes sont à la recherche d’un phénomène subtil très difficile à observer. Autant dire que ce n’est pas une mince affaire et qu’il est impératif, pour réaliser ces recherches, d’être convaincu par la théorie de la relativité générale d’Einstein, théorie moderne décrivant la gravitation et prédisant l’existence des ondes gravitationnelles. Ces dernières sont des déformations de l’espace-temps qui se propagent et qui modifient la distance entre les masses, telles des vagues sur l’océan. Elles peuvent être engendrées par des phénomènes violents comme des explosions d’étoiles ou des coalescences d’astres compacts ou bien être émises en continu, par exemple par des étoiles à neutrons asymétriques en rotation sur elles-mêmes. Cependant, la variation de distance est infime – de la taille d’un atome sur la distance Terre-Soleil !
La conviction de Frédérique Marion et de son équipe est d’autant plus forte que les ondes ont déjà été détectées de manière indirecte. Mme Marion est revenue pour moi sur l’histoire de la première détection indirecte des ondes gravitationnelles. Pour cela, il faut remonter au début des années 1970 et se tourner vers l’astre double PSR 1913+16. Il s’agit d’un couple d’étoiles à neutrons - astres ultra-compacts dont la masse est supérieure à celle du soleil mais contenue dans un objet d’une dizaine de kilomètres de diamètre - dont les orbites sont liées, c’est-à-dire qu’elles tournent l’une autour de l’autre. Une des deux étoiles est visible depuis la Terre comme un pulsar car elle émet un faisceau d’ondes radio interceptant la Terre à des intervalles réguliers, tel un phare balayant l’horizon. Depuis les années 1970, grâce aux mesures des intervalles de temps entre deux impulsions, les chercheurs ont pu déterminer la masse des deux étoiles et surtout leur période orbitale. Ils se sont rendu compte que celle-ci décroît. Ainsi, sur 30 ans le système a pris 40 secondes d’avance. Cette diminution traduit le fait que le système perd de l’énergie, entraînant ainsi un rapprochement des deux étoiles. En se basant sur les équations d’Einstein et en supposant que cette perte d’énergie était due à l’émission d’ondes gravitationnelles, les chercheurs ont trouvé des résultats en accord avec les mesures. Cette mesure fut donc la première preuve indirecte de l’existence des ondes gravitationnelles.
Mais les chercheurs doivent aussi faire preuve de persévérance. Car depuis des dizaines d’années, ils traquent sans relâche ces ondes. Différentes collaborations internationales sont à l’origine de l’installation de plusieurs interféromètres géants (3 km de long pour Virgo) dans le monde. Ces instruments, conçus pour déceler le passage des ondes gravitationnelles, sont des antennes omnidirectionnelles, ce qui optimise les chances de détection. La position dans le ciel de la source du phénomène est ensuite repérée par triangulation en comparant les temps d’arrivée de l’onde aux différents interféromètres. « On cherche en fait une aiguille dans un botte de foin » me confie Frédérique Marion. Le projet franco-italien Virgo, dont fait partie l’équipe d’Annecy, fait fonctionner son détecteur au sud de Pise depuis 2007, sans détection à la clef pour l’instant. Cependant les chercheurs sont aujourd’hui en pleine amélioration des appareils afin de les rendre plus sensibles : « la nouvelle génération de détecteur Advanced Virgo entrera en action fin 2015 et pourra sonder un univers 1000 fois plus grand ! » s’enthousiasme Frédérique Marion.
Mais finalement, pourquoi tant d’énergie dépensée pour quelque chose qui peut paraître insignifiant au commun des mortels ? Frédérique Marion me dévoile deux principales raisons. La première : s’intéresser aux ondes pour elles-mêmes, c’est-à-dire vérifier « le phénomène le plus extraordinaire de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Nous voulons mettre en évidence de manière directe la variation de distance entre des masses lors du passage d’une onde gravitationnelle ». La deuxième s’inscrit dans un but de compréhension de l’organisation et de l’évolution de l’univers. La détection des ondes permettrait d’observer leurs sources et ainsi d’étudier les phénomènes qui les émettent. Les ondes gravitationnelles seraient alors utilisées comme un messager complémentaire des messagers habituels (lumière, particules) pour l’astronomie. Par exemple, elles permettraient de mieux comprendre les trous noirs dont l’étude par les techniques habituelles est difficile (notamment car la lumière ne s’en échappe pas).
Je vois d’ici de nombreuses questions trotter dans vos têtes. Quels types de phénomènes sont détectables par Virgo ? Peut-on prédire le taux d’évènements ? Comment fonctionnent les interféromètres ? Pourquoi ne pas créer des ondes gravitationnelles artificielles pour les étudier ? Quels résultats les chercheurs publient-ils s’ils n’ont jamais détecté d’ondes ? Ont-ils déjà cru qu’ils avaient détecté une onde ? Je vous laisse le soin d’assister à la conférence de Frédérique Marion le 11 octobre pour assouvir votre curiosité !
>> Crédits : European Southern Observatory (Flickr, licence cc), CNRS, Frédérique Marion, ASPERA / CNRS / IN2P3