Isaac&Graham : quand la gravité alimente mon téléphone portable
Publié par Joel Chevrier, le 15 avril 2013 4.8k
Le professeur de physique grenoblois Joël Chevrier nous raconte le processus de création d’Isaac&Graham ; où l’on découvre la micro-énergie et son travail en compagnie d’un designer et d’un technologue.
Isaac&Graham est un montage d’apparence très simple (c’est fait pour) : une manivelle pour remonter facilement de un mètre une masse de 20kg. Libérée, la masse descend alors doucement en quelques minutes. Pendant la descente, elle alimente un téléphone portable (version Isaac&Graham) ou une LED (version Isaac&Thomas) à travers une dynamo. Un système autonome de production d’énergie électrique que l’on peut installer même loin de tout.
Presque banal. Où est l'intérêt ? Pratique d’abord. Ca marche et c’est un système efficace. Quelques secondes pour remonter cette masse à la main puis on dispose de 1 Watt pendant quelques minutes. 1 Watt, ce n’est pas énorme. Largement insuffisant pour faire la cuisine, mais assez pour s’éclairer ou se connecter au monde.
Aussi simple apparaisse-t-il, il a fallu deux designers, un professeur de physique et deux ingénieurs du CEA-Leti pour produire Isaac&Graham. Le designer Mathieu Lehanneur, en particulier, a trouvé le nom [ndlr : Isaac pour Newton, théoricien de la gravitation universelle, Graham pour Bell, inventeur du téléphone et Thomas pour Edison, pionnier de l’électricité]. Vraiment bien vu. C’est exactement cela. Avant cela, il a dû en faire une des "Choses" de son exposition, et donc d’abord un objet avec une place dans notre quotidien. Le rendre évident et simplement utile. Je n’aurais pas pensé que ce soit aussi difficile.
Un professeur de physique pour insister sur la transformation de l’énergie potentielle de pesanteur en électricité puis en en lumière ou en information et mettre les chiffres qui vont avec: mgH∆t-1 = 1 Watt. Un technologue pour transformer ces deux discours en une réalité. Rien de moins que deux ingénieurs du CEA-Leti pour assurer les détails du fonctionnement. C’est bien connu le diable est dans les détails. Particulièrement vrai dans le cas de la science et de la technologie. Toujours soigner les détails.
Il y a fallu une dynamo à haut rendement sur une grande plage de vitesses de rotation. Celle qui est au cœur de Isaac&Graham réalise cela. Elle fait l’objet d’un brevet Leti mais n’a pas été développée spécialement pour cette création. Aussi dans la boîte orange, il faut mettre une série d'engrenages pour obtenir une descente lente et le Watt alimentant une LED ou un téléphone. Là encore les détails. Si la dynamo a un haut rendement énergétique, il ne faut pas perdre l’énergie dans les frottements au sein des engrenages. Ca marche. Rien de bien nouveau ici. Une bonne mise en œuvre tout de même. Ca s’appelle un métier. Les engrenages et les roulements de toutes sortes sont toujours l’objet des préoccupations du monde industriel tant ils sont omniprésents. Ne jamais les oublier quand on voit un montage mécanique.
Avant les centrales, avant les réseaux de distribution électrique, avant les moteurs électriques ou à essence, le monde était lent utilisant d’abord l’énergie humaine, animale, hydraulique et éolienne. Beaucoup humaine et animale. Un peu éolienne et hydraulique (moulins, bateaux à voile,...). Stocker de l’énergie, c’était alors peut être d’abord manger et boire. La puissance disponible devait être au mieux de l’ordre de 100 watts pour un travailleur de force (l’ancien cheval-vapeur vaut 736 Watts). La puissance développée par un cycliste professionnel pour monter à l’Alpe d’Huez a fini par dépasser 400 Watts...
Isaac&Graham est à mes yeux une illustration de cette réalité : dans un monde devenant économe en énergie (et nécessité faisant loi, de plus en plus dans le futur), l’effort physique humain sera toujours là disponible pour alimenter nos machines du quotidien. Quelle découverte ! Enfant, mon vélo avait évidemment une dynamo. Oui mais je ne l’utilisais qu’en dernière extrémité tant elle était un frein puissant. Aujourd’hui je l’oublie et je roule toujours « plein phare ». Le vélo et sa dynamo sont d’un rendement énergétique remarquable. Une grande partie de leur intérêt.
Isaac&Graham propose une réflexion sur cette production et cette utilisation domestique de l’énergie humaine associée à des technologies efficaces et performantes. « Isaac (Newton) & Graham (Bell) » porte bien son nom. On voit ici combien les mots soulignent de fortes évolutions en cours. En plus des centrales et des réseaux de distribution à l’échelle des besoins d’une société, on parle de micro-énergie, locale, personnelle, ambiante et renouvelable. Pour l’enseignement, il reste à construire le discours qui doit accompagner Isaac&Graham. Il s’agira d’écrire d’une part mgH∆t-1 = 1 Watt et les transformations successives de l’énergie, et d’autre part, de souligner une nouvelle relation à l’énergie, issue en fait de la nuit des temps mais renouvelée par la technologie actuelle et en lien avec nos usages présents, pour répondre aux contraintes de notre temps.
Et puis, il faudra aussi exposer le plaisir que peuvent avoir à travailler ensemble un designer, un professeur et un technologue.
>> Voir aussi : GravityLight, la lampe low-cost qui éclaire sans électricité
>> Illustrations : Véronique Huyghe pour Mathieu Lehanneur