Hybridation et médiation culturelle des sciences et des innovations
Publié par Laurent Chicoineau, le 16 avril 2012 3.9k
Les 28 et 29 mars derniers était organisé à Grenoble un colloque sur “Les territoires et les organisations à l’épreuve de l’hybridation”. Directeur de la Casemate, Laurent Chicoineau était invité à intervenir dans l’atelier “Hybridation, construction politique et philosophique”. Nous publions le résumé de son intervention.
La médiation culturelle et scientifique développée par l’équipe de la Casemate à Grenoble s’entend comme la mise en œuvre de situations favorisant les rencontres, les échanges, et les transversalités. Prenant ses distances par rapport à la seule approche didactique, fondée sur un transfert de connaissances à sens unique, la médiation culturelle et scientifique recherche la pluralité et la confrontation des points de vue ; la mise en perspective / en contexte / en jeu / en scène / en doute des savoirs et de leurs modes de production et de diffusion. Elle s’inscrit dans la dynamique d’un projet culturel pour la société de la connaissance (1), qui prend en considération le mouvement général de renouvellement des pratiques de recherche artistique comme scientifique, et de rapport à l’œuvre, à l’expertise et au public.
Prendre en compte les nouveaux rapports aux savoirs
La société française comme les sociétés occidentales constatent la montée en compétence de l’ensemble de la population traduite par le développement exponentiel des productions et démarches amateurs, notamment dans les domaines culturels et de la connaissance. Ce nouvel état, induit par la dissémination des technologies numériques, bouscule le positionnement et le fonctionnement des institutions éducatives et culturelles ; charge à elles de s’adapter ou de camper sur des positions historiques. La Casemate a choisi de prendre en compte ces changements et d’expérimenter de nouvelles pratiques, faisant plus de place à la créativité (2) et aux opinions, aux représentations et aux intérêts des individus – y compris ceux des scientifiques et des artistes. S’agit-il pour autant de pratiques hybrides entre éducation, créativité, débat public?
La mise en œuvre de ces nouvelles formes de rencontres et d’échanges entre sciences, innovations et société nécessite par ailleurs l’élaboration d’un référentiel commun. Car il ne s’agit pas de passer d’un didactisme rigide ou d’un pédagogisme ludique à un relativisme permanent (3). L’hybridation des pratiques apparaît alors comme un processus à un moment donné et non comme une finalité. Expérimenter de nouvelles façons de débattre des avancées des sciences et des technologies, ou explorer les voies de la coproduction des connaissances en développant des pratiques d’innovation ouverte ou de sciences citoyennes, n’a pas pour objectif de créer des chimères ou des formes inédites, mais bien de faciliter l’appréhension de la complexité des modes de production, de diffusion et de négociations des savoirs dans notre société contemporaine, sans tomber ni dans le réductionnisme manichéen (nouveaux obscurantistes versus citoyens éclairés), ni dans la surenchère élitiste (il faut tout apprendre / comprendre avant de pouvoir émettre un avis).
Oser les rencontres
Pour résumer, l’hybridation pratiquée dans la mise à l’épreuve de ces nouvelles pratiques de médiation consiste à abaisser les frontières entre les disciplines, à provoquer les rencontres et les prises de risque d’acteurs (sortir de son champ d’expertise bouleverse souvent celui ou celle qui l’ose), et reconnaître aux publics un rôle actif dans l’élaboration des savoirs. C’est aussi une tentative d’organiser autrement la création et la recherche pour favoriser l’innovation sur un territoire, convaincus que les meilleures solutions s’imaginent à plusieurs, dans un esprit proche de celui du bricolage, en prenant en compte les attentes, représentations, compétences et propositions de chacun.
Notes :
- Le sociologue Manuel Castells définit la société de la connaissance comme “une société où les conditions de création des connaissances et du traitement de l’information ont été en grande partie modifiées par une révolution technologique axée sur le traitement de l’information, la création des connaissances et les technologies de l’information”. Pour une discussion sur ce terme, voir http://vecam.org/article516.html.
- Comme par exemple dans l’expérience menée dans le cadre du projet européen Nanoyou, où la Casemate a invité des jeunes adultes à venir réaliser un clip vidéo mettant en scène les nanotechnologies dans la ville de demain (voir la vidéo du making-of). Une sélection de ces films a ensuite été intégrée à l’exposition “Tous connectés? Enquête sur les nouvelles pratiques numériques” (à voir en ce moment à la Cité des sciences et de l’Industrie).
- Allusion au relativisme cognitif proposé par des chercheurs s'inscrivant dans la "nouvelle sociologie des sciences" théorisée par le physicien et philosophe des sciences américain Thomas S. Kuhn. Selon ce courant de pensée, développé entre autre par le français Bruno Latour, les théories scientifiques sont des constructions et, à ce titre, elles ne peuvent refléter la réalité. Ainsi, les sciences se construisent dans des cadres non rationnels, et leurs propositions ne sont ni plus ni moins ojectives que celles issues d'autres démarches de connaissances (mythologie, religion, art, etc.)
Illustrations : Christophe Levet, Ilan Ginzburg pour CCSTI Grenoble.
>>Pour en savoir plus : sur ce colloque dirigé par le géographe Luc Gwiazdzinski (laboratoire PACTE - CNRS, UPMF, IEP Grenoble, UJF) : http://ttt3-grenoble.sciencesconf.org/