Antarctique : à la recherche de la glace « fossile »
Publié par Marion Sabourdy, le 5 mars 2012 6.1k
Des glaciologues grenoblois ont participé à une première scientifique et logistique dans une région inexplorée au sud-est de l’Antarctique. Le but de ce raid : étudier le climat de cette zone et dénicher de la glace de plus d’un million d’années, le tout dans des conditions extrêmes.
« Météo : beau temps, ciel bleu sans nuage toute la journée. Températures entre -28 et -40°C ». C'est par ces mots que le glaciologue grenoblois Jérôme Chappellaz entame son dernier compte-rendu dans le journal de bord de son expédition en Antarctique, le 24 janvier dernier. Le chercheur et son équipe sont stationnés non loin de la base franco-italienne Concordia, qu'ils atteindront le lendemain, après 35 jours et 1400 km aller-retour entre cette station et la base russe de Vostok.
Trois jours plus tard, Jérôme Chappellaz profitera d'une connexion satellite avec la France pour évoquer ce raid préparé depuis plusieurs années avec ses collègues Michel Fily et Laurent Arnaud du Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement (LGGE) de Grenoble.
Ecran de la visioconférence depuis Concordia. De gauche à droite : Jérôme Chappellaz (directeur de recherche au LGGE), Claire Le Calvez (ingénieur du service logistique et infrastructure polaire à l'IPEV), Olivier Alemany (ingénieur de recherche au LGGE) et Anthony Vende (ingénieur à l'IPEV) (Crédit : Echosciences, licence CC).
Première scientifique et logistique dans une zone jusqu’ici inexplorée, ce raid avait de quoi séduire. Plutôt rare, une telle expédition dans cette région du globe ne s’improvise pas. Ainsi, le LGGE a collaboré avec trois autres laboratoires rattachés au CNRS (1) et avec l'Institut polaire français (IPEV) pour les moyens logistiques. « Les derniers raids de ce type organisés par des français datent des années 1970, précise Michel Fily, cette expérience marque le retour de l’IPEV dans ce genre d’organisation ».
La première partie de l'expédition a consisté en des mesures régulières (radars, petits forages d'une vingtaine de mètres, mesures atmosphériques...) le long de la « route » empruntée – ou plutôt tracée - par les tracteurs adaptés à la conduite sur glace et au transport de lourdes charges (vitesse moyenne 12 km/h). « Ce raid a permis d'étudier le climat et l'environnement de cette zone encore inconnue, explique Michel Fily, les chercheurs ont relevé des données actuelles et d'autres datant des révolutions industrielles et un peu avant ». Les mesures chimiques de la glace ont permis d'en dater les différentes couches à partir des traces laissées par les grandes éruptions volcaniques passées (comme le Tambora en 1815 ou le Pinatubo en 1991) mais également par les essais nucléaires atmosphériques des années 1955-1965.
La seconde partie du projet, nommée « Explore », s'insérait dans le partenariat international IPICS qui vise à localiser puis prélever de la glace s'étant formée il y a au moins 1,5 millions d'années. Le but : comprendre un changement climatique atypique qui a eu lieu à cette période (2). « Nous cherchions un lieu où la quantité de neige qui tombe chaque année est de l'ordre d'un centimètre, explique Jérôme Chappellaz, nous avons trouvé un site à 70 km au sud de Concordia où nous avons pratiqué un forage indicatif de 110 mètres de profondeur, ce qui correspond à 2000 ou 3000 ans d'accumulation. Les carottes seront livrées à Grenoble vers le mois de mai pour être étudiées ». A noter que le dernier record européen de forage est détenu par le programme Epica en 2007-2008 avec une carotte de 3260 mètres de long contenant de la glace vieille de 800 000 ans (3). Si les résultats s’avèrent concluants, le site sera sélectionné pour un forage profond, lors d’un futur raid.
Après le départ des chercheurs, Concordia va doucement entrer en hivernage. « Seules 13 personnes resteront dans la base contre une cinquantaine en décembre et janvier », dénombre Claire Le Clavez, ingénieur à l'IPEV. Ils devront faire face à un isolement et des conditions climatiques rigoureuses. « Il y a deux ans, pour se détendre, nous avons organisé un concours d'échecs par radio entre les différentes bases » ajoute malicieusement la jeune femme. Quant aux membres du LGGE, ils espèrent pouvoir revenir en Antarctique d'ici deux ans, en partenariat avec des chercheurs australiens.
Notes :
- Le Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales à Toulouse (LEGOS), le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement à Saclay (LSCE) et le Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement à Aix-en-Provence (CEREGE).
- Il y a 1 million d'années, le climat terrestre a changé de rythmicité, passant de cycles glaciaire-interglaciaire espacés d'environ 40 000 ans à des cycles espacés de 100 000 ans.
- La veille de la conférence de presse, les russes annonçaient avoir atteint 3765 mètres
Pour aller plus loin :
- Dossier de presse CNRS du raid de cette année
- L’exposition virtuelle du CNRS « Climat, une enquête aux pôles »
- Le site de l’exposition « Pôle Nord, Pôle Sud » de la Cité des sciences
Illustration de Une : Les engins et la caravane énergie en stationnement pour la nuit (© Laurent Arnaud / LGGE)